BIENVENUE AU MONASTÈRE

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Samana. Prise en sandwich entre le moto-concho et Don Gallón qui est assis à l’arrière, je suis gagnée par cette petite ivresse qui m’envahit à chaque fois que je monte sur l’une de ces motos. Il indique au concho « pa’lla ! en la loma de los locos« , il faut faire vite pour arriver à découvrir le Monastèreavant qu’il ne fasse totalement nuit. Le conducteur se marre. La Loma s’appelle en fait La Loma de los Baez mais il a décidé de la surnommer comme cela, et il semble que cela prenne, le lieu-dit commence à être reconnu comme tel, « le mont des fous ».  Le concho nous arrête devant une grille. Don Gallón m’annonce la couleur ; il y a 85 marches à gravir. Tout le monde sait que les monastères sont souvent perchés en hauteur. Moi je l’appellerai bien le Mont Olympe…  » la montagne dont les nuages s’enroulent autour du sommet ».

Nous montons  donc une à une les marches, mon hôte devant en éclaireur –il fait bientôt nuit-, moi derrière regardant où je mets les pieds entre les plantes qui poussent, prêtes à encercler, recouvrir, cacher toute portion de béton comme l’a fait la végétation au Machu-Picchu avant que l’on ne découvre un jour le merveilleux site inca qui se cachait sous cette montagne verte. De temps à autres un petit rire nerveux sort de ma bouche, j’ai peur de marcher sur une grosse bestiole qui traînerait là. Nous arrivons à une deuxième grille qu’il suffit de pousser, et encore une ribambelle de marches qui contournent un mur arrondi, et nous arrivons sur une petite plateforme d’herbe, voici l’entrée du Lieu. L’homme se baisse pour soulever une pierre posée au pied du mur. Je devine sans vraiment m’en étonner qu’il s’agit de la cachette de la clef. Mais c’est d’une spatule dont se saisit sa main, et là il m’annonce qu’il faut saisir le code. L’image de ma porte codée surgit en une fraction de seconde dans mon esprit, je me suis tout à coup retrouvée dans une rue du 15ème arrondissement de Paris. On fait signe de marquer le chiffre secret sur la porte, et d’un coup de magie, la spatule vient se glisser entre celle-ci et le cadre : tac, la porte s’ouvre. Je souris et découvre un grand espace devant moi, deux poteaux carrés qui semblent soutenir ce grand rectangle. Sur la gauche et  sur toute la longueur une sorte de paravent de lianes tissées qui laisse entrevoir la magnifique vue sur la Baie de Samana. Nous y sommes.
Le mur opposé, celui qui est adossé à la loma est couvert de pierres de marbre brut, les colonnes, la porte et les autres murs sont faits de bois de cocotier, le sol est en béton ciré. Don Gallón allume quelques bougies dispersées car il commence à faire sombre. Il m’explique qu’il n’y a plus de lumière depuis quelques temps, les lignes électriques ont déjà été volées à 5 reprises et il refuse de faire passer son câble au-dessus de l’école qui est en contre-bas de la loma ; à la moindre tempête, sous le poids des câbles piratés par d’autres habitants, les fils coupés pourraient provoquer un terrible drame en tombant.
Il ouvre l’une des portes qui donnent sur la baie : le spectacle est magique… le soleil s’est couché, les lumières de la ville éclairent le Malecon, et la baie ne ressemble plus qu’à une maquette, un petit lac reflétant les lumières des bateaux amarrés, au fond les montagnes couvertes de végétation luxuriante et au premier plan, juste en contrebas de la maison, un cocotier qui semble avoir été posé là « pour la photo »,  l’angle d’inclinaison est parfait et vient idéalement vous marteler que vous êtes dans les caraïbes. La terrasse en coco est presque impraticable : le bois n’a pas supporté l’humidité et déjà de nombreuses planches sont trouées, au moindre faux pas dans l’obscurité on peut se retrouver une jambe ballant dans le vide. Déjà les grillons ont commencé leur chant nocturne, et à leurs crissements se mêlent les bruits des motos au loin, accompagnés des grenouilles qui commencent leur « couica » enchanteur.
Retour dans le monastère, qui à ce niveau-là ne ressemble plus à un lieu de méditation mais plutôt à un grand loft, si ce n’est le petit bouddha posé au fond de la pièce, éclairé par une bougie dont la lueur vient faire danser son ombre. Je remarque immédiatement le grand lit qui fait face à cette baie qui zèbre l’horizon et j’imagine la douceur du réveil que l’on doit ressentir lorsque le soleil vient doucement caresser les yeux de ses rayons dorés du crépuscule.
Don Gallón entame la visite officielle : la maison respecte les règles du Feng-Shui : la porte doit avoir une inclinaison qui favorise les énergies, les espaces ont été pensés pour respecter un équilibre ; lorsque l’on ouvre les baies l’on redistribue les espaces…  la douche et les WC sont placés à l’extérieur de l’habitation ; il faut traverser la terrasse en enjambant le vide à deux reprises et l’on découvre un cube de béton ouvert et faisant face lui aussi à la Baie. Je repense évidemment aux bungalows typiquement thaïlandais, avec la douche ouverte sur l’extérieur : on se lave en admirant le paysage, comme si l’on était en train de se purifier sous une cascade surplombant un décor de rêve. Ici, on vit en communion avec la nature. Tout est ouvert sur l’extérieur et la Nature y a ses Droits.
Des fourmis ont construit des galeries de terre qui traversent les plafonds d’un bout à l’autre, les lézards jouent à la balançoire sur le mobile de rondins de noix de cocos polies, les araignées mangent les moustiques, parfois une tarentule vient surveiller la douche depuis le plafond. Les deux chiens font la garde au pied d’une des colonnes, le chaton à peine plus grand qu’une main joue 22h sur 24 avec tout ce qui passe devant ses petits yeux de félin guidé par son instinct.
La nuit est tombée, à la lueur de quelques bougies nous nous asseyons face à face sur deux petits bancs faits de bois de coco comme pour nous confesser. L’un des plus beaux souvenirs figurant sur ma liste des « meilleurs moments de ma vie » consiste à m’être retrouvée un soir entourée de lucioles dans un bois près d’une plage en République Dominicaine il y a une quinzaine d’années. Je n’oublierai jamais ce sentiment : je regardais les petites lumières vertes voler tout en douceur et en silence dans l’obscurité, comme des dizaines de petites fées clochettes qui volaient et virevoltaient doucement à hauteurs d’yeux. Cette nuit-là je m’étais sentie comme une petite fille dans un conte magique, je les regardais ébahie, je voulais que ce moment dure pour toujours, j’étais prise d’un vertige irréel.
Je rêve depuis ce jour de revivre cette impression.
Et voilà, une, puis deux, puis trois lumières se déplacent en silence et dessinent des courbes dans l’espace obscur qui nous entoure. Je dois avoir les yeux écarquillés…
Ce qui s’est passé ensuite dans ce monastère n’a rien de très catholique. Ou plutôt si, comme à la messe c’était plein de générosité, de partage et de communion… et puis quelques rescapés de l’Arche de Noë étaient là aussi…
Bienvenue au Monastère.

0 réflexion sur “BIENVENUE AU MONASTÈRE”

  1. Bonjour Olympia, je viens de lire ton texte sur le monastère près de Samana.
    J'aimerais y aller pour méditer, dormir, et me ressourcer;
    Est-ce que cela est possible?
    ça a l'air tellemnt beau, et j'ai tellment besoin de me recentrer, de réfléchir, d'être entourée de beau, en confiance;
    un beso y un abrazo

  2. Chère Caroline,

    En réalité, ce lieu n'est pas un monastère… comme plusieurs de mes articles, c'est une métaphore, une image que j'ai utilisée pour raconter « d'autres choses » qui vont au delà de cette vision.
    J'espère que tu trouveras TON monastère très vite pour t'y reposer.

    Amitiés,

    Olympia

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