Hamburger, street-food, discothèque dominicaine chimi

LA HAMBURGUESA DE « DONDE MANUEL »

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Hier soir je suis allée fêter ma dernière soirée à Las Galeras a donde « Manuel », la maintenant célébrissime discothèque du village. Mais comme il était tard et que je n’avais pas dîné, après quelques gobelets de Presidente une faim d’ogresse m’a envahie accompagnée d’une irrésistible envie de manger une dernière fois l’un de ces hamburgers préparés par un jeune homme dont j’ignore le prénom dans son kiosque mobile devant la discothèque. J’ai passé les 5-10mn de la préparation à observer (voire absorber) attentivement tous ces gestes mécaniques et néanmoins pleins d’amour. Car OUI, la hamburguesa de « a donde Manuel » est préparée avec amour, en tous cas moi c’est ce que je ressens  à chaque fois.

Voici donc la scène : notre jeune homme au sourire éclatant et au regard tendre attend tranquillement le prochain client en discutant avec ses amis derrière son mini-kiosque au son des décibels de la discothèque. Je m’approche et lui demande
« Hola como’tu’ta ?, dame la mejol’ hambulguesa del mundo pol’favol’! », je crois bien que cette fois-ci et après 2 mois passés ici je commence vraiment à parler comme une dominicaine. D’ailleurs même sortie du village (où tout le monde se connaît) on ne me demande presque plus d’où je viens, si ce n’est par ma couleur « morena » qui n’a rien à envier à celle des Santiagueños mais plutôt la couleur de mes cheveux et de mes yeux qui font tâche.
Et là, attention, c’est parti.
Notre « chef » hamburguesa s’empare d’une serviette en papier qu’il entortille. Ouvre la bouteille de gaz qui est à un mètre de là, craque une allumette et s’en sert pour allumer le feu sous sa planche de métal. Saisit un sachet en plastique (non pas una bolsa comme j’ai longtemps dit, mais una funda, parce que la bolsa ici ne s’utilise que pour autre chose que je n’ai pas envie d’expliquer ici, je me suis déjà suffisamment auto-humiliée à la caisse du colmado avec cette confusion). Donc, saisit la petite funda typique rayée bleu et blanc, glisse sa main dedans et la retourne comme un gant. Eh oui c’est comme ça ici on a beaucoup d’imagination pour trouver
de nombreuses utilités aux objets. De sa main maintenant gantée il saisit le paquet de steaks hachés (ne m’en demandez pas la composition, ça ne ressemble pas à du steack haché et d’ailleurs au goût c’est plutôt de la chair à saucisse, de porc). Pose un steack sur la planche de métal, attend une quinzaine de secondes, donne quelques coups de spatule dedans et s’empare de la bouteille plastique qui contient une sauce marron.  Je devine que c’est de la sauce de soja. En arrose la viande reconstituée qui commence doucement à cuire sur le feu. Prend un pain rond à hamburger, toujours de sa main gantée, le coupe en deux et pose chaque morceau sur le coin de la table chauffante puis forme deux spirales de ketchup sur chaque pièce avec une autre bouteille choisie parmi la demi-douzaine dont il dispose. Je dois par moments me décaler de la table chauffante à cause de l’odeur de butane qui me prend au nez. Tout à coup ses deux mains disparaissent sous la table de cuisson, je comprends qu’il coupe quelque chose et tout à coup jette une grosse poignée de chou blanc haché fin sur la table de cuisson, à quelques centimètres de la viande qui cuit toujours et qu’il retourne au passage. Clac, clac, clac, muni de sa spatule il disperse et regroupe à plusieurs reprises les lamelles de chou, puis choisit de nouveau une bouteille parmi sa collection : il en sort un filet de mayonnaise qu’il ajoute toujours en forme de spirale sur cette préparation. Un peu de sauce soja, un mélange qui ressemblerait à du chimichurri (des herbes, de l’ail et de l’oignon macérés dans du vinaigre ?), et remets quelques coups de spatule dedans, des coups énergiques et secs pour le faire sauter comme le font les asiatiques dans leurs woks. Il retourne encore une fois la viande et commence à préparer « le lit » de mon hamburger ; une feuille d’aluminium posée sur le coin de la table, il y place chaque morceau de pain et dépose successivement sur l’une des moitiés  : une tranche de tomate, quelques feuilles de salade iceberg (c’est la seule que l’on trouve ici) et avec sa pince à salade commence à recueillir le choux qui est maintenant cuit à point pour former une pyramide sur l’une des tranches. Clac, clac, clac, il n’en reste plus une lamelle sur la table et je vois peu à peu se dessiner l’objet de ma gourmandise. A nouveau il saisit les bouteilles les unes après les autres d’un air décidé : une fine spirale de mayonnaise, une fine spirale de ketchup, deux belles spirales d’une sauce jaune-orangée qui ressemble fort à du cheddar (artificiel je suppose) fondu, encore de la sauce soja, je l’interromps pour lui demander « ponme salsa picante« , il prend la bouteille de piment et en met quelques gouttes en me regardant comme pour me signaler de l’arrêter quand il y en a assez. Je lui fais signe de continuer en levant le menton, il rajoute quelques gouttes et relève les yeux vers moi d’un air dubitatif, je relève le menton pour lui dire « encore » et lui fais un sourire en signe d’approbation finale. La spatule soulève le steack qui est maintenant d’une couleur obscure, le pose délicatement sur la pyramide formée précédemment, et vient la phase que je préfère.
Il pose l’autre moitié de pain brioché sur le tas formé qui maintenant fait bien 10 centimètres de hauteur, emballe soigneusement le tout de la feuille d’aluminium, pose le paquet sur la table toujours chauffée par le gaz, applique un coup de spatule de chaque côté pour compresser, et vient poser le paquet sur la table de préparation de sa main gantée. Tour de magie : sa main quitte le « gant » qui devient maintenant le réceptacle du paquet formé. Un couteau de cuisine finement aiguisé vient couper d’un coup sec et net le paquet argenté en deux, qu’il place côte à côte dans la funda.  Et c’est là qu’on découvre la magnifique succession de couches maintenant à jour… ce n’est pas fini, phase finale et toujours aussi artistique, il saisit à nouveau les bouteilles les unes après les autres, et vient re-dessiner des serpentins blanc, jaune et rouge sur chaque tranche colorée du sandwich, saisit quelques serviettes, les glisse sur le côté, et avec un grand sourire me tend la préparation fumante et multicolore sans jamais l’avoir touché de sa main. Terminé. Je suis presque déçue, j’aurai pu continuer à regarder ce tour de magie encore quelques minutes. Je lui tends un billet de 100 pesos (ici les prix ne sont JAMAIS affichés nulle part et c’est bien comme cela qu’on reconnaît les « locaux » ; on tend la somme exacte au moto-concho, au vendeur, enfin, à qui que ce soit d’un air décidé qui ne laisse pas le moindre doute sur le fait qu’on ne connaisse pas le prix de la chose, et en l’occurrence je le connais). Je le remercie en répétant : « la mejol’hambuguesa del mundo’, gracia’ mi amol« .
Et j’entre dans la discothèque ouverte sur la rue pour aller déguster mon festin assise sur ma chaise de plastique en regardant les couples danser entre un chien (qui doit être sourd) en train de se gratter sur la piste.
Bon appétit, quel régal.

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